Argentine: Les meres de la place de Mayo: 30 ans de dignités

Publié le par yoy

Depuis que je suis tous petit, on me raconte cette histoire: Une femme aurait soulevé un jour un camion parce que son fils etait sous les roues. L'explication de cette histoire voudrait que devant la rage, la colere d'avoir perdu son fils, une mere peut faire des choses inexpliquées.

Chose inexpliquée: Elles etaient quatorze ce jour là, quatorze femmes qui s'etaient donné rendez-vous Place de Mayo devant le palais presidentiel à Buenos Aires. Alors que toute l'Argentine se couchait tot, alors que l'Argentine n'etait plus elle meme. Ces 14 femmes vont défier le regime de la dictature des generaux.

Ce 30 avril 1977, elles sont donc quatorze avec à leurs tetes: Azucena Villaflor qui pendant 6 mois va faire des recherches seules pour trouver l'un de ses fils et sa nièce. En vain, elle decide de creer l'association des mères de la place de Mai. Avec comme vain espoir de retrouver leurs filles et fils, enlevés par des agents du gouvernement argentin pendant la guerre sale, de 1976 à 1983.

Ce 30 avril 1977, les policiers tentent de les dispercer en vain. Bien au contraire, elles decideront de rester sur la place et de tourner pendant une demi-heure. Elles le feront le jeudi suivant, puis le jeudi d'apres. 1 an, 2 ans, 3 ans...pendant plus de 25 ans, pendant une demi-heure, dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, remontant ainsi symboliquement le temps et critiquant l'impunité des militaires responsables des massacres et des tortures.

Si elles se donnent rendez-vous tous les jeudis, leur travail ne s'arrete pas là. Ainsi, le mouvement s’organise progressivement des 1977, les mères se partagent les tâches, elles écrivent des lettres personnelles et collectives aux autorités, elles font publier dans les journaux des avis de disparition. Mais tres vite la dictature en place va decider de les harceler. C'est ainsi que la fondactrice de l'association, Villaflor a ete emmenée au camp de concentration ESMA (Ecole Suprieur de Mecaniques de la Marine)  le 10 décembre 1977 deux autres fondatrices du mouvement ont aussi "disparu".

Ayant perdu la raison même de leur existence, elles retrouvent la vie, en luttant pour leur enfants, en multipliant les reunions d'informations pour avoir des informations et pour informer un pays qui voit mais ne veut pas y croire. A cet epoque, les argentins se doutaient qui se passait quelques choses, mais ne voulait pas y croire, par peur peut etre des consequences.

Que sont-ils devenu: « J’ai passé quelques temps à la capucha, partie la plus élevée de l’ESMA (Ecole mécanique de l’armée). Il y avait une soixantaine de prisonniers ; tous les mercredis, les militaires organisaient des transferts où une vingtaine d’entre nous étaient descendus au sous-sol. On leur faisait une piqûre d’un somnifère puissant et on les montait dans un camion qui partait vers un aéroport proche. On les chargeait endormis dans un avion de la marine et à 3.000 mètres au dessus de la mer, on les jetait vivants. On ne le savait pas à l’époque, les militaires gardaient le secret3. » dira une rescapée.

A partir des années 1985, qui marquent le procès et la condamnation des commandants de la dictature – amnistiés en 1989 – le mouvement se divise en deux associations : le Mouvement des Mères de la place de Mai, dont l’actuelle présidente est Hebe de Bonafini, et la Ligne fondatrice des Mères, qui se veut l’exacte héritière des initiatrices. Le premier fait littéralement corps avec sa responsable, personnage hautement charismatique qui refuse toute négociation avec le pouvoir en place tant que les assassins n’auront pas été jugés et que toute la vérité ne sera pas établie. Les Mères de la place de Mai décident de socialiser la maternité. Elles ne porteront plus les photos et les noms de leurs propres enfants, elles deviennent les mères de tous les disparus. « Nous avons décidé que la lutte individuelle n’avait aucun sens, que nous devions assumer la responsabilité de “ socialiser ” la maternité en devenant les mères de tous".

L'argentine sera à vie traumatisé de ces 30 000 disparus, 15.000 fusillés, 9.000 prisonniers, 1.500.000 exilés pour 30 millions d’habitants. On dit que Buenos Aires repose sur des cadavres, ils sont là. La société ne peut passer au-delà des disparus, les disparus la rattrapent.

 

*En faisant des recherches pour ecrire l'article je suis tombé sur le pays qui a inventé ce type de guerre psychologique. Reponse: LA FRANCE.

Yohann Taillandier (http://yoytaillandier.over-blog.com)

Le châle blanc des mères de la place de Mai, peint sur le sol de la place de Mai, à Buenos Aires.

En signe de protestation, elles portent des foulards blancs (à l'origine : les langes en tissu de leurs bébés)... pour remémorer la disparition de leurs enfants.

 

Publié dans Presidentielle 2007

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M
Après lecture je reste sur des impressions mitigées... A la fois pleine d'admiration pour ces mères, et glacée de ce que nous sommes capables de nous infliger à nous même. Ce n'étaient pas des choses que j'ignorais totalement, mais les chiffres qui désignent ceux qui en ont souffert sont toujours aussi choquants.
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